Intimité et ocytocine : la dimension sexuelle de l’accouchement

Par Armelle Fruchard | Mise à jour le 26 avril 2024

L’accouchement possède une dimension profondément sexuelle, pourtant très souvent occultée. Tout comme dans l’acte sexuel, la femme qui accouche expérimente un état de conscience altéré, libère de l’ocytocine, et subit des contractions, impliquant les mêmes hormones et les mêmes organes. Quels sont les points communs entre l’union et l’accouchement ? Pourquoi est-il intéressant de s’en rendre compte ? Regardons en détail le mécanisme de ces deux moments intimes et intenses de vie. 

Des besoins similaires pour des expériences positives 

L’accouchement et l’acte sexuel sont tous deux des expériences profondément intimes et puissantes qui partagent de nombreuses similitudes, nécessaires à leur déroulement harmonieux. L’objectif ici n’est pas de dire que donner naissance et faire l’amour relèvent de la même expérience, mais de souligner que comprendre les parallèles entre ces deux expériences peut nous aider à identifier les conditions optimales pour un accouchement.

  • Intimité. L’accouchement comme l’acte sexuel requiert de l’intimité. C’est ce qui va permettre le lâcher prise, l’abandon et la mise en pause de l’esprit. Sans intimité, le cerveau à tendance à rester éveillé et concentré sur l’environnement qui l’entoure, ce qui ne permet pas d’entrer dans sa bulle. Ce besoin d’intimité est aussi hormonal : l’ocytocine, l’hormone responsable du plaisir amoureux et des contractions, se révèle davantage dans l’intimité. On dit d’ailleurs que c’est une hormone timide. Même si l’intimité peut être un véritable défi au sein de l’hôpital, certains éléments peuvent aider : lumière tamisée, chuchotements, porte fermée, etc. Enfin, privilégier l’intimité en amour comme lors de la naissance permet de renforcer le lien entre les partenaires et rend l’expérience d’autant plus forte. 
  • Calme et pénombre. On retrouve également la nécessité d’un environnement doux dans ces deux moments de vie. Ce cadre aide le néocortex (cerveau pensant) à se mettre en berne, favorisant ainsi la libération d’hormones nécessaires à l’accouchement mais aussi la capacité de la femme à entrer dans une connexion forte avec son corps. 
  • Confiance. La confiance est indispensable pour se sentir sécurisée et soutenue. Cela réduit l’anxiété et permet une meilleure gestion de la douleur, tout comme elle augmente le lien entre les partenaires lors d’une relation sexuelle.  Ce processus émotionnel permet de vivre pleinement l’expérience sans retenue, facilitant une progression naturelle et une bonne expérience. Être dans le contrôle ou la crispation fait contracter les muscles et empêche le corps de suivre sa danse naturelle. 
  • Chaleur. Une température agréable contribue au confort et à la relaxation. Sans cette chaleur, l’esprit peut rester concentré sur le désagrément du froid, empêchant la déconnexion nécessaire pour un abandon complet lors de ces expériences intimes.
  • Toucher. Le toucher joue un rôle essentiel à la fois lors de l’accouchement et durant l’acte sexuel. Des caresses et des massages bien reçus augmentent le niveau d’ocytocine, favorisant la relaxation et les contractions utérines. Ces gestes affectueux stimulent également la libération de dopamine et de sérotonine, et diminuent le cortisol, essentiels pour un accouchement doux.
  • Présence et affection de personnes familières. Le rôle du partenaire ou de l’accompagnant à la naissance (papa ou doula) est similaire dans les deux contextes : offrir de l’amour, du soutien et de la douceur. soutien. Plus les personnes présentent sont familières, moins le sentiment d’être observée pourra naître. 

Il est instructif de comparer les besoins des femmes qui accouchent à ceux d’autres mammifères, tels que les chats, qui cherchent également intimité, pénombre, chaleur et calme. Cette analogie, loin de sous-estimer l’expérience humaine, souligne plutôt les leçons précieuses que la nature peut nous offrir. Contrairement aux autres mammifères, la mère est équipée d’un cerveau émotionnel. Pourtant, durant l’accouchement, son instinct animal et naturel doit primer.

« Pendant l’accouchement, ce n’étaient pas tant les contractions qui m’ont marquée, mais plutôt un vrai changement dans ma tête. Au début, je me disais que je devais tout faire, respirer, me concentrer. Et puis, tout à coup, j’ai réalisé : en fait, je ne dois rien faire, c’est pas moi qui contrôle. J’ai dit à mon bébé : « C’est toi qui gères, je te fais confiance. » Là, j’ai vraiment lâché prise. Ça a complètement changé la donne. Quand j’ai vraiment accepté de ne rien faire, de laisser aller, j’ai senti mon bassin bouger, la poche des eaux avancer et finalement éclater. C’était incroyable. » Armelle

Accouchement et acte sexuel : les mêmes hormones en action

L’accouchement et l’acte sexuel ne sont pas seulement liés par leur nature intime, mais également au niveau hormonal. Cette connexion hormonale souligne la connexion profonde entre donner la vie et faire l’amour.

L’ocytocine : Appelée hormone de l’amour, elle joue un rôle essentiel aussi bien lors des rapports sexuels que durant l’accouchement. Durant l’amour, elle renforce les liens entre partenaires, augmente le plaisir et diminue l’anxiété. Durant l’accouchement, elle favorise les contractions utérines et intensifie le lien affectif avec le nouveau-né. C’est une des hormones les plus précieuses et fragiles à sécréter. Le contrôle et la pensée sont ses ennemis numéro 1.

Endorphines : Libérées durant l’activité sexuelle et l’accouchement, les hormones du bien-être offrent des sensations de plénitude  et aident à gérer la douleur. Lors d’un accouchement naturel, la libération d’endorphines peut induire un état d’extase, souvent décrit comme une « danse intérieure » où la future mère semble planer au-dessus de la douleur physique.

Les mécanismes hormonaux partagés entre la sexualité et l’accouchement suggèrent que ces expériences ne sont pas seulement biologiquement liées mais aussi intimement connectées dans leurs dynamiques physiologiques.  En comprenant le rôle des hormones et la façon de favoriser leur sécrétion, il est possible de privilégier un état où le plaisir peut rivaliser avec la douleur, transformant l’accouchement en une expérience profondément initiatique.

Accoucher et faire l’amour : des réactions physiques et émotionnelles parallèles

La sexualité est au cœur du comportement reproducteur, de la conception jusqu’à la naissance. On remarque d’ailleurs que la réponse corporelle durant ces deux événements est très similaire : la respiration se modifie naturellement, le corps vit des spasmes de contractions et ce sont les mêmes organes qui les dirigent. Sur le plan émotionnel, les deux expériences génèrent des émotions intenses, nécessitant un état de lâcher-prise et d’abandon. 

Les cris émis par les femmes en travail ne sont pas seulement des expressions de douleur, mais des manifestations puissantes aidant à atteindre un état de conscience altéré, similaire à celle éprouvée lors d’un orgasme. Ces « chants libérateurs » permettent de se déconnecter de la douleur, facilités par la libération d’ocytocine qui relie physiologiquement ces expériences (comme lors d’un effort physique important comme un match de tennis par exemple). 

Certains processus d’excitation sexuelle (comme la stimulation des mamelons ou du clitoris) ont été reconnus comme efficaces pour induire naturellement le travail (source). Cela illustre le pouvoir de l’approche tactile en matière de sexualité mais aussi durant l’accouchement. 

“J’ai utilisé mon fils (toujours allaité) et ça a bien fonctionné ! Quelques semaines avant d’accoucher, je sentais parfois des contractions lors des tétées. Et le jour J, j’avais quelques contractions et je l’ai fait téter pour accélérer les choses. Ça a super bien marché ! Je suis passé à des contractions toutes les heures à des contractions douloureuses toutes les 1mn30. Le soir-même, j’avais mon bébé dans les bras.” Aurélie.

Le Dr Curtis a exploré l’usage de la stimulation des mamelons comme méthode alternative pour réduire l’utilisation d’ocytocine de synthèse de 30% dans son service. Cette pratique, qui aide à accélérer le travail, est utilisée depuis des siècles à travers le monde. Des documents obstétriques des XVIIIe et XIXe siècles en France, Allemagne et Angleterre témoignent également de son efficacité pour stimuler le travail en cas de progression insuffisante.

Le cas particulier de l’accouchement orgasmique 

L’accouchement orgasmique représente un phénomène étonnant défiant les tabous culturels. Certaines femmes décrivent avoir vécu une jouissance physique durant leur accouchement. Pour certaines, cette expérience survient spontanément sans stimulation consciente, tandis que d’autres peuvent chercher à atteindre l’orgasme délibérément pour soulager la douleur. Il semble que les préparatifs mentaux et physiques tout au long de la grossesse jouent un rôle fondamental car il faut être prête à le vivre et se conditionner à cette expérience pour l’atteindre. 

“Lors de mon 4e accouchement, j’ai tout fait pour me concentrer sur les sensations de mon corps et imaginer chaque contraction comme une délivrance vers l’arrivée de mon bébé. J’avais les yeux fermés, je me balançais au rythme des contractions et je trouvais que c’était doux et fort. Je n’avais pas mal, j’étais comme en transe, connectée à mon bébé. Je ne sais pas si c’est une naissance orgasmique mais je suis toujours, plusieurs années après, nostalgique de cette journée et de mon accouchement. Je rêverais de le vivre de nouveau.“ Bénédicte

Durant l’accouchement, certaines mamans décrivent que lors du passage du bébé, elles avaient eu envie de stimuler leur clitoris pour augmenter les sensations, sous-entendant que cela était déjà agréable. La stimulation clitoridienne pour diminuer la douleur est d’ailleurs une pratique observée aussi chez certains animaux. L’expérience de l’accouchement orgasmique est à la fois physique et émotionnelle, avec des femmes décrivant leurs contractions comme des spasmes orgasmiques qui s’intensifient vers la fin du travail.

Il faut souligner que ce phénomène est extrêmement rare, et il semble presque impossible dans un milieu hospitalier. Toutefois, le fait de le nommer nous permet d’élargir notre vision de l’accouchement et de présenter une image différente de celle de la douleur. 

Pourquoi la dimension sexuelle de l’accouchement est-elle tabou ? 

On ne prend pas un grand risque en affirmant que la dimension sexuelle de l’accouchement est presque toujours ignorée dans les hôpitaux. On imagine facilement que ce fut nécessaire afin de faire entrer des hommes dans la pièce où les femmes accouchaient dès le XVIIe siècle, époque à laquelle presque toutes les femmes accouchaient en présence de femmes uniquement. Enfin, quand dans la plupart des pays industrialisés, l’accouchement a migré à l’hôpital sous le contrôle direct des obstétriciens, ce déni de la dimension sexuelle de l’accouchement fut généralisé.

“Pourquoi serait-on plus à l’aise avec l’idée d’enfanter dans la douleur que dans le plaisir ?“ Stéphanie St-Amant

Pourquoi est-il important de réaffirmer la dimension sexuelle de l’accouchement ? 

Il est essentiel de réaffirmer la dimension sexuelle de l’accouchement pour plusieurs raisons. La société nous conditionne à percevoir l’accouchement comme un processus douloureux et éprouvant, souvent représenté dans les films par des cris et des souffrances. Cette vision accentue la peur et l’anxiété autour de la naissance, occultant son aspect naturel et la possible grâce de ce moment unique de rencontre entre la mère et son enfant.

En reconnaissant l’accouchement comme une extension de l’acte sexuel—un acte intime de connexion profonde non seulement avec le partenaire mais aussi avec le nouveau-né—on peut commencer à transformer la perception collective de cet événement. Cette perspective vise à établir que la douleur peut coexister avec le plaisir et la joie.

La médicalisation excessive de l’accouchement en milieu hospitalier, où la femme est souvent perçue comme étant en danger, peut inhiber son expérience naturelle en la plaçant sous une surveillance constante. Cela peut empêcher les femmes de se détendre pleinement, essentiel pour un accouchement serein. À l’inverse, un environnement plus humanisé, accompagné par une sage-femme (ou doula) disponible et une préparation adéquate, peut favoriser un processus plus autonome et détendu, facilitant la production d’endorphines et d’ocytocine—des hormones essentielles à un bel accouchement.

Cela permet non seulement de redonner aux femmes le pouvoir sur leur corps et leur expérience de l’accouchement, mais aussi de célébrer cet événement comme une expérience initiatique et positive plutôt qu’un simple défi médical à surmonter.

Ensemble, nous pouvons changer la vision de l’accouchement ! Si vous avez vécu un accouchement doux et heureux, n’hésitez pas à témoigner dans l’espace commentaires !

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