Le déclenchement de l’accouchement est une pratique de plus en plus répandue en France, avec une fréquence en hausse : 25,8 % en 2021 contre 22,0 % en 2016. Bien que parfois justifié pour des raisons médicales, son recours soulève des interrogations sur ses conséquences pour la mère et l’enfant. Depuis 2018, l’étude américaine ARRIVE a amplifié le débat et les pratiques. Analyse complète et critique.
Contexte et résultats de l’Étude ARRIVE
Description de l’étude
L’étude américaine ARRIVE, publiée en 2018 par Grobman et collaborateurs, porte sur un panel de 6 721 femmes nullipares aux États-Unis. Son objectif principal était de démontrer que le déclenchement du travail à 39 semaines d’aménorrhée (SA) pouvait réduire le taux de césariennes et celui de morbidité néonatale. Cette recherche remet en question la croyance selon laquelle le déclenchement augmenterait systématiquement le risque de césariennes. Elle suggère que ce constat pourrait être biaisé en comparant l’ensemble des déclenchements (avant ou après terme) aux accouchements spontanés, incluant ceux après terme, qui comportent des risques accrus.
Principaux résultats
L’étude ARRIVE a permis de conclure que :
- Chez les nullipares américaine avec une grossesse normale, le déclenchement à 39 SA pourrait réduire légèrement le risque de césarienne par rapport à un travail spontané.
- Aucune preuve significative n’a cependant été établie pour démontrer une réduction de la morbidité néonatale.
Les limites de l’Étude ARRIVE
Une différence de profils et de pratiques
L’une des principales limites de l’étude ARRIVE réside dans la différence de profils cliniques entre les femmes américaines et européennes, notamment françaises. En effet :
- L’étude ARRIVE concerne principalement des patientes afro-américaines ou au chômage (40 % des persona), avec un IMC élevé et un accès précaire aux soins. Ces facteurs influent sur les résultats et questionnent leur transposabilité.
- Les protocoles et l’organisation des soins diffèrent grandement entre la France et les États-Unis.
- La perspective simpliste de choisir entre un déclenchement à 39 SA ou un risque accru de césarienne en cas de dépassement du terme occulte les nuances de chaque situation.
- Le vécu des patientes n’est pas considéré.
Une approche trop généralisée
Affirmer qu’il faut systématiquement déclencher à 39 SA ou, au contraire, rejeter cette pratique, n’est pas possible. Chaque femme enceinte est unique, présentant des risques et des besoins spécifiques, tels que l’âge, les antécédents obstétricaux, les conditions sociales ou encore le poids du bébé. Il est impossible de ne pas considérer ces particularités pour offrir une prise en charge sur mesure.
Les risques liés au déclenchement
Le déclenchement à 39 SA préventif entraîne une médicalisation accrue de l’accouchement, ce qui n’est pas sans conséquences. Il ne se limite pas simplement à la réduction du risque de césarienne ou de morbidité néonatale. Cette approche peut entraîner une série de risques supplémentaires, souvent ignorés ou minimisés dans l’évaluation initiale (hémorragie de la délivrance, instrumentalisation de l’accouchement, hyperstimulation utérine, difficultés d’allaitement, etc).
Même si ces risques sont relativement faibles, ils soulèvent une question éthique : jusqu’où peut-on intervenir dans un processus physiologique naturel sans une nécessité avérée ?
Déclencher l’accouchement : qu’en est-il du vécu des mères ?
L’expérience de l’accouchement ne peut être réduite à un simple événement médical. Pourtant, l’étude ARRIVE tend à considérer cet épisode de manière isolée, sans tenir compte des implications à moyen et long terme sur la santé mentale et émotionnelle des femmes.
- Selon les données actuelles, 16,4 % des femmes ayant été déclenchées rapportent un mauvais vécu de leur accouchement (source).
- Une séparation entre le corps et l’esprit dans cette approche occulte les conséquences psychologiques et psychosociales de cette médicalisation sur les mères.
La relation médecin-patiente en jeu :
Lorsqu’un professionnel de santé recommande un déclenchement, la femme enceinte se retrouve dans une situation de vulnérabilité face à un déséquilibre de pouvoir :
- Le statut de « sachant » du soignant biaise la capacité de la femme à écouter son propre ressenti et à faire des choix éclairés.
- Cet effet est accentué par la fatigue en fin de grossesse, les inquiétudes liées à l’accouchement, et parfois l’idée que le déclenchement simplifie la logistique.
Cependant, un accouchement déclenché est souvent associé à une cascade d’interventions médicales :
- Des contractions artificielles plus intenses et douloureuses.
- Un risque accru de recours à des instruments, voire à une césarienne.
- Un impact potentiel sur le début de l’allaitement, le rétablissement postnatal et le souvenir global de l’expérience.
- Une dénonciation de la déshumanisation de la naissance.
Des voix s’élèvent contre cette standardisation du déclenchement, qualifiant cette pratique, en l’absence de raison médicale justifiée, de violence obstétricale :
La contre-étude FRENCH-ARRIVE : preuve que les résultats à ce jour ne sont pas suffisants
Une adaptation au contexte français
Lancée en mai 2021, l’étude FRENCH-ARRIVE vise à valider (ou non) les conclusions de l’étude ARRIVE dans le contexte français. Cet essai randomisé inclut 4.200 femmes réparties en deux groupes :
- Un groupe recevant un déclenchement entre 39 SA et 39 SA + 4 jours.
- Un autre groupe bénéficiant d’une prise en charge classique, selon les recommandations françaises actuelles.
Le rationnel de l’étude précise que le déclenchement à 39 SA pourrait être un moyen efficace pour réduire les césariennes, objectif mondial.
Une publication attendue en 2026
En prenant en compte les particularités françaises, FRENCH-ARRIVE met l’accent sur des enjeux négligés par l’étude américaine. Toutefois, aucun résultat ne sera disponible avant 2026, laissant ouvertes les questions autour du déclenchement à 39 SA.
Il est essentiel pour chaque maternité et lieu de naissance de ne pas modifier ses pratiques ni d’intégrer les conclusions de l’étude ARRIVE dans l’élaboration de ses protocoles de prévention. L’OMS lui-même recommande de limiter les déclenchements artificiels, préconisant qu’ils ne dépassent pas 10 % des accouchements afin de préserver la physiologie naturelle et réduire les interventions inutiles.
J’accouche à Necker (Paris) et dès l’inscription, on m’a parlé d’un potentiel déclenchement de convenance à 39SA!
J’ai trouvé ça hyper anxiogène surtout que je sais à quel point la douleur peut être plus difficile à gérer.
C’est mon premier bébé, j’espère que j’arriverais à refuser si je n’en ressens pas la nécessité…