Alcool et allaitement maternel : compatible ? 

Par Armelle Fruchard | Mise à jour le 30 octobre 2023

Pendant les 9 mois de grossesse, la plupart des femmes sont bien informées des dangers de l’alcool pour le fœtus. Cependant, une fois l’accouchement passé, les recommandations relatives à la consommation d’alcool sont plus floues, compte tenu des choix personnels de chacune sur le mode d’alimentation choisi pour son enfant. Comment valoriser l’allaitement comme une démarche naturelle tout en mettant en lumière ses éventuelles contraintes ? Face au dilemme « boire ou allaiter », comment trouver le juste équilibre ?

Alcool et allaitement : que disent les experts ?

Avant de devenir mère, il est rare d’être très aux faits sur les mesures de précaution ou directives à tenir concernant l’alcool. Penchons-nous sur ce que préconisent les principales autorités sanitaires :

Selon l’American Academy of Pediatrics (AAP), une consommation occasionnelle d’alcool, n’excédant pas un verre de vin par jour, est tolérable à condition d’attendre 2 heures après le dernier verre pour allaiter. Cette recommandation est similaire à celle proposée par le Journal Américain de Pédiatrie qui limite également l’apport à 0,5 g d’alcool par kg de poids corporel. Pour une mère de 60 kg, cela équivaut à environ 24 cL de vin ou 2 bières (250ml). De son côté, l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) conseille également aux mères d’attendre 2 heures après un verre pour allaiter, bien que certains experts de l’ACOG recommandent une attente de 3 à 4 heures.

L’Organisation Mondiale de la Santé ne s’exprime pas sur le sujet. 

D’après les études, une consommation d’alcool modérée et mesurée semble envisageable même pendant la période d’allaitement. Toutefois, cela doit rester rare et limité car l’alcool, une fois dans le sang de la mère, se retrouve également dans son lait.

Comment l’alcool interagit-il avec le lait maternel ?

L’alcool se propage dans le corps car ses petites molécules se dissolvent facilement dans l’eau et les graisses, composants majeurs du corps humain. Elles n’ont donc pas besoin d’être métabolisées par des enzymes digestives pour entrer dans la circulation sanguine. Cela explique leur rapidité de diffusion et le fait que l’alcool se retrouve dans le lait maternel. On estime que sa concentration est quasi similaire à celle présente dans le sang de la mère (à 95 %). 

Si votre taux d’alcoolémie est de 0,05 % (ce qui est le seuil légal pour conduire en France), la concentration d’alcool dans votre lait sera également de 0,05 %. Bien que l’idée de donner du lait alcoolisé soit préoccupante, on peut noter qu’une bière est qualifiée de « sans alcool » si elle contient moins de 0,5 % d’alcool. Ainsi, selon cette norme, pour que votre lait soit jugé alcoolisé le taux d’alcool dans votre sang devra être 10 fois supérieur. 

Après avoir bu, les niveaux d’alcool culminent entre 30 à 60 minutes dans le sang et dans le lait. Si vous consommez de la nourriture, ce pic peut être retardé d’une heure environ. L’élimination de l’alcool dans le lait suit le même processus que dans le sang : seul le temps permet de le faire diminuer. Cependant, les études indiquent que l’alcool est évacué du lait légèrement plus vite que du sang

Cependant, il est important de prendre en compte le métabolisme du nourrisson et de ne pas comparer ce qui n’est pas comparable de manière brute (adulte vs nourrisson). La fonction hépatique des nouveaux nés est limitée ce qui rend leur foie plus fragile. De plus, la quantité de lait qu’ils consomment (environ 750ml entre 1 et 6 mois) est considérable. Ainsi, même si le bébé n’est exposé qu’à une partie infime de l’alcool consommé par sa mère, cela reste important en prenant compte de sa taille, son poids et son volume sanguin (20 fois moins important que celui de l’adulte). 

D’après ces informations, si la prise occasionnelle et modérée d’alcool ne semble pas présenter un risque majeur, il est toutefois recommandé de limiter autant que possible sa consommation pendant l’allaitement. C’est ce que préconise notamment la Leche League. 

Pour les mamans qui souhaitent prendre un peu d’alcool même si elles allaitent, il est préférable d’éviter de consommer de l’alcool tout juste avant d’allaiter. La recommandation la plus prudente est d’attendre au moins 2 à 3 heures par unité d’alcool consommée avant d’allaiter.

Pourquoi est-il particulièrement recommandé de s’abstenir d’alcool durant les premières semaines de l’allaitement ? 

La mise en place de l’allaitement exige une phase d’adaptation, plus ou moins simple. La mère doit s’habituer à allaiter en restant confortable, tandis que le bébé apprend à téter efficacement. Les tétées sont irrégulières et fréquentes ce qui permet de stimuler la production de lait. Il est conseillé aux nouvelles mamans d’allaiter à la demande, sans horaire strict afin que chacun puisse ajuster son rythme.

Durant cette période, la consommation d’alcool est déconseillée. Il est difficile voire impossible de prévoir quand votre bébé voudra téter ce qui rend le délai des 2-3h difficilement tenable. De plus, l’alcool peut nuire à la production de lait et fragiliser sa régulation. 

Si vous êtes déjà à l’aise avec le fait de tirer votre lait, cela peut être une alternative mais c’est rarement le cas durant les premières semaines. 

Enfin, si la coupe de champagne à la maternité est tentante, il est préférable de s’abstenir pour la tétée d’accueil. Les premiers jours, vous produisez du colostrum, un nectar extrêmement riche et concentré pour votre bébé. En quelques gouttes, il apporte à votre nouveau-né tous les apports nécessaires. Il apparaît comme imprudent de risquer qu’il transporte de l’alcool à votre petit bébé. 

Alcool et allaitement : quelles sont les précautions à tenir ? 

  • Après un verre, attendez au moins 2-3 heures avant d’allaiter à nouveau. Si vous buvez deux verres, l’attente passe à environ 6 heures.
  • Si vous envisagez de consommer davantage, prévoyez de ne pas allaiter pendant un certain temps et tirez votre lait en prévision (avant votre consommation d’alcool).
  • Si vous le pouvez, allaitez votre bébé juste avant de boire pour optimiser le temps entre la consommation et la prochaine tétée.
  • Si vous n’êtes pas avec votre bébé ou que votre lait risque d’être alcoolisé, continuez à tirer votre lait pour maintenir votre production et éviter l’engorgement 
  • Si vous avez consommé plus d’un verre d’alcool dans les deux heures, jetez le lait tiré.
  • Consommez toujours un repas avant et pendant la prise d’alcool pour ralentir l’absorption de l’alcool dans le sang.
  • N’oubliez pas de vous hydrater (eau) si vous buvez de l’alcool 
  • Évitez le co-sleeping après avoir bu pour garantir la sécurité de votre bébé.
  • Si vous envisagez de boire plus de deux verres lors d’une occasion, la meilleure option est de confier votre bébé à quelqu’un d’autre pour assurer sa sécurité.

Quel délai respecter entre la consommation d’alcool et l’allaitement ? 

De la même manière que dans le sang, l’alcool dans le lait nécessite du temps pour être éliminé. 

Si vous buvez un verre d’alcool standard (1 verre de vin, un demi de bière ou un cocktail), il faut compter 2h30 pour qu’il ne soit pas détectable chez une femme d’environ 60 kilos. L’ajout d’un second verre double le temps d’élimination, soit près de 5 heures.

Voici un tableau présentant la durée depuis la première consommation jusqu’à l’élimination totale de l’alcool dans le lait maternel.

Note : 1 verre équivaut à :

  • Un demi de bière (25cl) à 5 %
  • Un verre de vin à 11 %
  • Un cocktail avec une dose d’alcool fort (40 degrés)

Poids de la mère (kg)1 verre2 verres3 verres4 verres5 verres
452:425:258:0810:5113:34
50 (Estimé)2:365:127:4910:2513:01
55 (Estimé)2:305:007:3010:0012:31
602:244:497:139:3812:03
652:164:336:509:0711:24
70 (Estimé)2:104:206:308:4010:50
75 (Estimé)2:054:106:158:2010:25
80 (Estimé)2:004:006:008:0010:00

Ces données sont estimatives et basées sur le programme canadien Motherisk. Elles doivent être prises à titre indicatif.

L’unique façon de réduire le taux d’alcool dans le lait est d’attendre le temps nécessaire à son élimination. Il est donc primordial d’anticiper vos sorties. Et oui, c’est ça la vie d’une maman : un brin d’organisation supplémentaire pour une tranquillité d’esprit maximale. 

Quels sont les risques associés à la consommation d’alcool pendant l’allaitement ? 

La consommation d’alcool ne modifie pas la composition nutritionnelle de votre lait en termes de vitamines, d’apports ou d’anticorps : les bienfaits nutritifs restent intacts même après la consommation d’alcool. Cependant, cela entraîne d’autres risques dont il convient de tenir compte. 

Les risques pour le bébé 

Après avoir consommé du lait maternel contenant de l’alcool, les principaux risques sont que votre bébé soit plus agité, se mette à pleurer davantage ou à sursauter fréquemment. 

De même, des études ont montré que l’exposition à l’alcool par le biais du lait maternel peut avoir des conséquences sur le développement moteur du bébé (source). De même, dans le cas d’une consommation régulière et excessive, on remarque une augmentation des risques de troubles autistiques et d’hyperactivité.

Il est également établi que la consommation d’alcool peut diminuer la production de lait. En conséquence, certains bébés peuvent boire jusqu’à 20% de lait en moins dans les heures suivant la prise d’alcool par leur mère (source). Cette réduction est probablement due à l’effet inhibiteur de l’alcool sur la production de lait, et non à la modification du goût du lait, comme cela a parfois été évoqué. 

Les risques pour votre allaitement 

La consommation d’alcool interfère avec les mécanismes hormonaux liés à l’allaitement. Elle entraîne une diminution de l’ocytocine (de plus de 70 %), hormone essentielle au réflexe d’éjection du lait. Parallèlement, la prolactine, qui stimule la production de lait, augmente. Vous pouvez avoir l’impression d’avoir davantage de lait mais son extraction est plus difficile. 

Selon le Dr Jack Newman, le véritable risque de la consommation d’alcool pendant l’allaitement ne réside pas tant dans la concentration d’alcool dans le lait, mais dans la capacité de la mère à s’occuper de son bébé de manière sécuritaire. 

Ainsi, si vous prévoyez de boire, le plus sage serait de confier votre bébé à un tiers de confiance.

Bière sans alcool et allaitement : une alternative ?

On a toutes déjà entendu dire que la bière stimulerait la lactation. Effectivement, le malt et l’orge contenus dans la bière peuvent augmenter le taux de prolactine chez les femmes, qu’elles soient enceintes ou non. Le scientifique Louis-Marie Houdebine a confirmé que cette capacité à stimuler la production de lait maternel est due aux bêta-glucanes contenus dans le malt d’orge de la bière. Ces composés auraient un effet sur l’hypophyse, boostant ainsi la sécrétion de prolactine. Cependant, même si ce taux d’hormone augmente, des études ont montré que l’alcool agit en sens inverse, car les bébés consomment moins de lait lorsqu’il contient de l’alcool.

La bière sans alcool peut être une alternative si vous souhaitez une boisson un peu “festive” sans avoir d’impact sur votre lactation. Toutefois, elles contiennent souvent pas mal de sucre donc il ne faut pas en abuser, même sous couvert qu’elles soient “virgin”. Si possible, choisissez-les 0,00% : cela ne change rien à leur goût et vous assure de ne transmettre aucune molécule d’alcool à votre bébé.  

Est-il nécessaire d’adopter l’allaitement mixte pour pouvoir boire occasionnellement de l’alcool ? 

Il est important de noter que les bénéfices de l’allaitement l’emportent largement sur les risques d’une consommation occasionnelle (source). Opter pour un allaitement mixte, en intégrant des biberons de lait artificiel pour contrecarrer les effets potentiels de l’alcool, n’apporte pas vraiment d’avantage. Au contraire, cela pourrait diminuer les bienfaits inhérents à l’allaitement. Enfin, comme la lactation a besoin d’être stimulée pour être produite, c’est également le risque que votre production ne suive plus et que votre allaitement s’arrête sans que vous l’ayez souhaité.

Faut-il extraire et jeter son lait après avoir consommé de l’alcool ?

Il est inutile de tirer puis jeter son lait après avoir consommé de l’alcool dans l’idée de retirer l’alcool présent. Cela n’accélère pas son élimination du lait maternel. 

En effet, le taux d’alcool dans le lait suit le taux d’alcoolémie de la mère. Ainsi, lorsque l’alcoolémie diminue, le taux d’alcool dans votre lait maternel baisse également. Tirer son lait ne permet pas de retirer l’alcool qui s’y trouve. Seul le temps le permet. Si vous prévoyez une longue soirée sans allaitement, il peut être nécessaire d’extraire votre lait, non pour éliminer l’alcool, mais pour éviter l’engorgement et maintenir la production. 

Contrairement aux idées reçues, l’alcool n’est pas stocké dans le lait maternel mais est éliminé au fur et à mesure qu’il quitte la circulation sanguine. La clé réside donc dans la patience et l’anticipation, deux clés essentielles de la maternité.

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